• La chasse aux sorcières


    La chasse aux sorcières

    « Reines mages de la Perse, ravissante Circé ! Sublime Sibylle, hélas ! Qu'êtes-vous devenues ? Et quelle barbare transformation ! Celle qui, du trône d'Orient, enseigna les vertus des plantes et le voyage des étoiles, celle qui, au trépied de Delphes, rayonnante du dieu de lumière, donnait ses oracles au monde à genoux ; c'est elle, mille ans après, qu'on chasse comme une bête sauvage, qu'on poursuit aux carrefours, honnie, tiraillée, lapidée, assise sur les charbons ardents »[1]  (J. Michelet. La Sorcière. 1862)

    Le Féminin fantastique en France prend peut-être sa source au Moyen-âge dans un personnage réel qui n'a plus rien des antiques allégories : celui de la sorcière.
    A cette époque, la résurgence de l'épopée dans le monde chrétien, les croyances dans les forces diaboliques ou les miracles ne permirent pas véritablement le développement d'un Fantastique littéraire à proprement parler mais en posa très certainement les premiers jalons ; le Merveilleux ou le Diabolique donnant dès lors des solutions toutes trouvées aux mystères et phénomènes de surnature.
    Mais beaucoup plus tard, après le passage des rationnelles Lumières du XVIIIème siècle, les auteurs ont pu s'interroger, relativiser et lancer un regard neuf sur les époques passées. Dénonçant un manichéisme trop marqué, opposant le sceau du doute sur la religion et ses pratiques, l'écrivain du XIXème siècle, nourri de philosophie et d'humanisme, replonge dans les arcanes du paganisme et s'aperçoit notamment que les antiques rituels ont perduré dans les superstitions du chrétien moyenâgeux jusqu'à lui-même. A défaut de trouver un réel texte fantastique, il va chercher et déceler dans cette extraordinaire époque d'obscurantisme, de mysticisme et de douleurs, un réel climat fantastique.
    Sans prendre clairement ce parti, Michelet fut en 1862 un de ceux-là. C'était un précurseur en ce sens qu'il fut l'un des premiers à s'interroger sur le caractère maléfique et surnaturel conféré à la femme (...)
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Ainsi, l'homme fait de la femme le symbole vivant, l'animal sacrificiel qui porte en lui les stigmates de cette Chose qu'il craint et peut ainsi se représenter. De l'intelligible au visible, la Chose est déjà plus accessible, la peur démystifiée.
    Satan est un bouc émissaire : il explique les maux et les malheurs qu'on ne peut comprendre autrement et ses évocations seront récurrentes partout où le mal surgira dans les œuvres fantastiques. (...)
    On l'a souvent répété depuis Michelet qui a symboliquement compté un sorcier pour dix mille sorcières, la sorcellerie est une contre-Eglise féminine.
    « D'où date la sorcière ? (...) du désespoir profond que fit le monde de l'Eglise (...) la sorcière est son crime ! »[2]
    <o:p> </o:p>Crime de l'Eglise selon lui, la sorcière est bien née d'un désespoir, d'une angoisse véhiculée et fortifiée par les images infernales. La hantise de feu des Enfers s'accompagne d'une phobie de la femme ; une « gynophobie » comme la qualifie Michel Viegnes dans un excellent article « Gynophobia ou la peur du féminin dans le récit fantastique. »[3]
    Porteuse du feu de la passion charnelle, foyer d'incendies pour la société, la femme diabolisée apparaît possédée car intrinsèquement du côté du corps, de la vie, de la nature sauvage, de Satan donc.
    <o:p> </o:p>« Les premiers chrétiens, dans l'ensemble et dans le détail, dans le passé, dans l'avenir, maudissent la nature elle-même. Ils la condamnent tout entière jusqu'à voir le Mal incarné, le démon dans une fleur. »[4] 
    <o:p> </o:p>Les diatribes violentes de Michelet s'expliquent par un double-phénomène nécessaire à expliciter pour situer l'œuvre. D'une part, Michelet s'est nourri des pensées humanistes d'une époque : la curiosité humaniste, le goût esthétique de la Renaissance, le Relativisme et les idéaux sociaux qui amenèrent sous des formes diverses l'exaltation de la féminité ; la femme devenant alors le principal argument de la poésie, la substance-même de l'œuvre d'art qui, à travers elle, loue à nouveau les bienfaits de la nature. D'autre part, Michelet s'est penché sur un phénomène inhérent au Moyen-âge, celui d'une régression de la représentation féminine vers les forces obscures d'une nature que l'on craint :
    « Le serf peut la rêver fée, c'est-à-dire désexualisée ; la serve régresse vers l'image de la mère archaïque et passe un pacte avec le diable. Le projet d'inversion qui la possède prend forme dans un sabbat subversif où tout ce qui est en haut, la Dame, le Noble, le Prêtre, Dieu lui-même bascule et tombe (...) la sorcière guérit en effet, elle peut tuer aussi. »[5]
    <o:p> </o:p>Si la sorcière, déjà louée avec emphase par Michelet, a pu apparaître comme la victime expiatoire de la folie humaine et religieuse, c'est sans doute par la dimension de forte négativité qu'elle représente.
    Personnage issu d'une mythologie noire opposée aux mythes « familialistes » du patriarcat, nantie d'un pouvoir marginal parallèle au pouvoir social, liée à cette nature mystérieuse et sans parole que notre mythologie apparente à la féminité, elle satellise dans son archétype les traits d'un irrationnel de la nature où la maternité positive se renverse en une subversive puissance de mort.
    A l'époque de Michelet déjà, on tend à recréer une histoire mythique de la femme même si ses personnages trouvent leur quintessence dans une littérature exclusivement masculine. Le mythe est séduisant et les auteurs s'interrogent sur l'existence de ces fabuleuses nations matriarcales, ces démons montés sur des montures furieuses, ces amazones galopant aux quatre coins du monde. Le fantasme est virilisé, la vérité l'est moins : nous ne savons rien d'elles excepté le nom de leur époux, la date de leur mariage, le nombre d'enfants qu'elles ont porté. Comment ces antiques figures féminines héroïques, actives et volontaires ont-elles pu disparaître tout à fait dans la femme, aujourd'hui vouée à la passivité que lui confère son rôle social ?
    Pour cela, Michelet revient sur ce qui a progressivement projeté la femme du Moyen-âge vers les confins de l'humanité, dénonçant sa proximité viscérale avec une nature que le fanatisme religieux va accabler car trop duelle pour être admise. Le manichéisme qui fait voir Dieu ou Diable et donc Vierge ou Sorcière en toute chose ne peut admettre le concours de telles contradictions. L'Eglise va montrer que, confronté à l'objet désirable, l'homme, oublieux de sa vertu et de sa raison, sent en lui s'éveiller Pan[6] qui débride ses instincts et ses impulsions de bestialité ; ce que la religion réprime sévèrement.
    Suscitant donc les pulsions naturelles et profondes de l'homme ravalé au rang d'animal, la femme ne peut être, au regard de l'Eglise, qu'assimilée au paganisme. La lecture cosmologique du Moyen-âge, attentive aux désordres du monde, fait progressivement place chez les Inquisiteurs, à une lecture démonologique centrée sur le maléfice, puis sociologique et anthropologique, accablant la femme, l'accusant d'être la complice, non plus passive, mais consciente de Satan. Les contemporains de Michelet diront que la théologie s'est muée en une idéologie amalgamant hérésie, folie et frénésie sexuelle. Ainsi, la « Femme au diable » est née, la propagande démonologique avec elle, aussitôt véhiculée par une abondante littérature. Dans une religion où la chair est maudite, la femme apparaît comme la plus redoutable tentation du démon. Tertullien disait à ce propos : 
    « Femme, tu es la porte du Diable. Tu as persuadé celui que le Diable n'osait attaquer en face. C'est à cause de toi que le Fils de Dieu a dû mourir. »[7]
    De même, Saint-Ambroise écrivait :
    « Adam a été conduit au péché par Eve (...) il est juste qu'elle le reçoive comme souverain. »[8]
    A cette époque où la théologie se mue en délire démonologique et sexologique, on a même pu lire chez les inquisiteurs les phrases suivantes :
    « Toute malice n'est rien près d'une femme (...) qu'est-elle d'autre que l'ennemie de l'amitié, la peine inéluctable, le mal nécessaire, la tentation naturelle, la calamité désirable, le péril domestique, le fléau délectable, le mal de nature peint en couleurs claires ? (...) Une femme qui pleure est un mensonge (...) Une femme qui pense seule pense à mal. »[9]
    Voilà qui explique en ces temps reculés l'émergence de la figure de la Sorcière...

    Ligeia
    (extraits de mon essai "L'altérité féminine du Mal")


    [1]  Michelet, J. La Sorcière. Ed. J. De Bonnot. 1998 (introduction pp. 18-19)
    [2] Michelet, J. La Sorcière,  op. cit. (pp. 18-19)
    [3] Article publié dans Le Féminin Fantastique. Cahiers du Gerf. ILCE. 2000 (pp. 81 à 98)
    [4] Michelet, J. La Sorcière, op. cit. (p. 21)
    [5] Article « Sorcellerie » Encyclopédie Universalis. op. cit.
    [6] Dieu grec des pâturages, de la lubricité animale et de la puissance sexuelle exacerbée.
    [7] Tertullien, cité par Eisenberg, J. La Femme au temps de la Bible. Paris Stock. 1993 (p. 410)
    [8] Saint-Ambroise, cité par Eisenberg, J. op.cit.
    [9] Institoris, H. et Sprenger, J. Le Marteau des Sorcières, traduit par A. Danet, Paris.1973. (p. 200)



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  • Commentaires

    1
    Mercredi 31 Octobre 2007 à 12:05
    premss
    mdr boonjour a toi et bon halloween moi j'aime bien les sorciere surtout les gentilles a+ basgi
    2
    TARA
    Mercredi 31 Octobre 2007 à 12:40
    Jours des sorcières
    et des bonbons ou chocolat lol bises à toi
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    3
    Mercredi 31 Octobre 2007 à 13:27
    si
    cela t'intéresse, aujourd'hui c'est la fête de samhain pour les wiccanes, c'est une fête paienne, avec des rites sacrés qui honore le dieu et la déesse et beaucoup la naure, c'est la Wicca....je te mets un lien : http://www.paganisme.fr/paganisme/fetes/samhain.html - bisou magique - Miss Lili
    4
    Eldarr
    Mercredi 31 Octobre 2007 à 17:52
    Superbe article
    que tu nous offres là! Tout est dit et je suis entièrement d'accord. Notament cette phrase qui résume un peu tout:"la sorcellerie est une contre-Eglise féminine." Comme a mon habitude je vais un peu dévier du sujet mais ça me donne envie de dire pas mal de chose. Tu parles du manichéisme, qui est une des causes 1ere du caractère maléfique conféré à la femme. j'avais juste envie de rajouter que cette vision persiste encore en nous. Peut-être moins en terme du bien et du mal. Mais nous avons tous ce regard qui divise. Je pense sincèrement que la forme est dénuée d'éxistence intrinsèque ou indépendante. Mais notre vision "séparatrice" nous fait passer à coté de cette vérité. Et c'est pour moi la cause 1ere de notre ignorance et qui donne naissance à de nombreux concepts tous plus idiots les uns que les autres. Et donc pour revenir à nos sorcières, il ne faut pas oublier que notre société a été construite par la pensée de l'homme, un homme qui ignore ce qu'est la femme. Une ignorence que amène donc à une peur et tout ce qui en découle, le refus etc. Le thème de la femme "obscure" revient souvent chez toi Ligeia pour pas dire tout le temps^^. Chercherais-tu à trouver, cerner la place de la femme? C'est bon de savoir que des personnes se posent des questions et ne vivent pas comme des automates. Tu sembles porter loin ton regard, au-dela du conditionnement de notre société, de notre histoire... Il y a pas l'ombre "et" la lumière. L'ombre est lumière et la lumière est ombre l'un ne peut être sans l'autre. Il en va de même pour la femme et l'homme et pour toute chose en toute chose...Votre place vous l'avez rien a chercher, c'est juste plutôt à l'homme d'ouvrir les yeux... Merci encore à toi, sourire.
    5
    Jeudi 1er Novembre 2007 à 09:48
    bonjour ligeia...
    un petit coucou ,pour te souhaiter une tres bonne journee ,profite bien de tes vacances...basgi ,amitié sorenza
    6
    Jeudi 1er Novembre 2007 à 10:45
    bonjour
    mon amie profite bien de tes vacances et surtout repos lol bonne journée bisous
    7
    Jeudi 1er Novembre 2007 à 16:30
    Coquine Tara
    Qui ne pense qu'aux bonbons et surtout au chocolat Sourire Et les sorcières alors! Pas de sorcières, pas de bonbons... Bonnes vacances Ligeia
    8
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 07:59
    alors
    toujours en vacances ? je te souhaite une très bonne journée bises à toi de Tara
    9
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 10:07
    meme
    pas peur des sorcières lol bonne journée mon amie gros bisous
    10
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 12:26
    bonjour ligeai....
    un petit coucou mon amie,pour te souhaiter un tres bon vendredi...amitié sorenza
    11
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 15:59
    ah vi
    elles ont pas le bon rôle en géneral les femmes en religion !!! Normal, se sont les hommes qui tenaient les plumes !!!bisous a toi
    12
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:34
    @ Thispabb
    Iui, prem's !!! Merci de ton passage, je peux être une gentille sorcière il paraît ;-)) Amitiés.
    13
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:36
    @ Tara
    Oui, toujours en vacances ! Et des soucis de connexion en prime ! Pas évident de passer vous voir... Merci de tes visites mon amie, bon week-end à toi.
    14
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:37
    @ Missi Lili
    Je savais que c'était la fête de Samhain mais je ne connaissais pas ce site, merci pour le lien et pour ta visite. Bisous
    15
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:40
    @ Eldarr
    Non, tu n'as pas dévié... juste commenté. Mon regard s'est porté loin, effectivement, lorsque j'ai rédigé ce travail. Tu n'en lis que quelques extraits mais c'est le fruit de longs mois de recherches. Merci beaucoup pour tes mots. Bises.
    16
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:41
    @ Hiéro
    Tu as bien raison... moi je préfère le chocolat de toute façon... ;-)) Merci de ton passage. Amitiés.
    17
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:41
    coucou
    un petit passage pour te souhaiter une bonne soiree et une douce nuit,milles bisous.domie
    18
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:44
    @ Sorenza
    Merci de tes visites... j'ai quelques soucis de connexion pour rester longtemps mais je te promets de passer dès que je peux. Gros bisous et bon week-end.
    19
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:45
    @ Sandy
    Surtout les fées... gentilles sorcières, comme la plupart d'ailleurs ;-) Gros bisous et merci. Bon week-end.
    20
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:48
    @ Domie
    Aaaaah ! ça me fait très plaisir de te voir dans le coin... j'espère te croiser plus souvent. Bon week-end à toi et tes proches.
    21
    Vendredi 2 Novembre 2007 à 18:50
    @ Free little bird
    C'est tout à fait ça... l'homme tenait la plume et comme ça se sont tues et ont disparu de très grandes femmes... médecins, poètes, auteurs, artistes... Merci de tes visites, j'en suis ravie. Bon week-end à toi.
    22
    Mercredi 7 Novembre 2007 à 16:57
    Les sortilèges...
    S'enfuient avec les sorcières... Que les entités ont voulu brûler vives... Mais dont les cœurs depuis ces années de pierres... Respirent le temps d’une vindicte incisive. Bien à vous Ligeia. Armanny
    23
    Mercredi 7 Novembre 2007 à 22:37
    @ Armanny
    J'aime "Respirer le temps"... la vindicte des sorcières résonne encore en ces nuits de Samhain, il faut savoir tendre l'oreille. Merci pour ces mots si poétiques sur ma réflexion. Belle nuit à vous.
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