• Les métamorphoses du vampire (Illustration de Victoria Francés)

     

    Les Métamorphoses du Vampire

    La femme cependant, de sa bouche de fraise,
    En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
    Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
    Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
    " Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
    De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
    Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
    Et fais rire les vieux du rire des enfants.
    Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
    La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
    Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés,
    Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés,
    Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
    Timide et libertine, et fragile et robuste,
    Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
    Les anges impuissants se damneraient pour moi ! "

    Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
    Et que languissamment je me tournai vers elle
    Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
    Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
    Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
    Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
    A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
    Qui semblait avoir fait provision de sang,
    Tremblaient confusément des débris de squelette,
    Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
    Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
    Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.

    Charles Baudelaire (Epaves. 1866)

     Charles Baudelaire photographié par Nadar

    Eléments de bibliographie :

    Grand poète du XIXème siècle, traducteur génial d'Edgar Poe, Charles Baudelaire est connu pour sa vie de bohème, de rebelle désabusé et d'auteur torturé. Il publia de son vivant une seule œuvre majeure, les Fleurs du Mal. Ce fantastique recueil de poèmes fut condamné et censuré à sa sortie en 1857 (la même année que Madame Bovary de Flaubert), « pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Son œuvre ne sera judiciairement réhabilitée qu'en 1949. Baudelaire y met en lumière une peinture de la modernité, la dualité entre la volupté et la violence, le bien et le mal, la beauté et la laideur, le ciel et l'enfer. Il s'éteint à l'âge de quarante-six ans, des suites de la syphilis, de l'abus d'alcool et autres drogues. En 1868 sont publiés à titre posthume le Spleen de Paris et les Curiosités esthétiques. Non reconnu de son vivant, Baudelaire fut : "le vrai Dieu" selon Rimbaud, "le premier surréaliste" pour Breton ou encore "le plus important des poètes" pour Valéry.

    Ligeia

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  • Commentaires

    1
    Vendredi 22 Juin 2007 à 11:39
    lu,
    et approuvé Ligeia, la censure ne serait pas de mise actuellement. Nombres de poètes et peintres non pas connues l' heure de gloire de leur vivant... Amicalement.
    2
    Morgan
    Mardi 21 Août 2007 à 14:32
    Baudelaire
    Difficile d'être objectif avec cet auteur, mais c'est superbe...
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