• J'ai tant rêvé de toi

    J'ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.
    Est-il encore temps d'atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la naissance de la voix qui m'est chère ?

    J'ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre, à se croiser sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.
    Et que, devant l'apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

    Ô  balances sentimentales.
    J'ai tant rêvé de toi qu'il n'est plus temps sans doute que je m'éveille. Je dors debout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l'amour et toi, la seule qui compte aujourd'hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les premières lèvres et le premier front venus.


    J'ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu'il ne me reste plus peut-être, et pourtant, qu'à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre cent fois que l'ombre qui se promène et se promènera  allègrement sur le cadran solaire de ta vie.

    Robert DESNOS
    Corps et Biens (1930)


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  • "Ne couvrez pas de voiles sinistres tout ce qui brille. Scrutez le miroir pour découvrir le fantôme qui s'y cache." (Anne Rice. Le Violon.)

    « Miroir, ô mon miroir, suis-je toujours la plus belle ? » (rire cynique...)

    Me pavanant devant la face froide et vierge d'une longue psyché, j'y cherchais mon présent mais c'est le passé que j'entrevis par les fenêtres mouillées de mes yeux
    Echappée saine et sauve de ce monde qui glisse lentement vers demain,
    Dans un songe, sanctuaire figé en dehors du temps,
    Une enfant, aux prunelles brillantes, songeuses, boudeuses,
    Reflet de son père, cherchant ce père.
    Bâton de misère d'une mère-enfant qui refaisait le chemin à l'envers.
    J'y cherchais alors la malaimée, l'enfant repoussée, grandie trop vite par l'absence et la culpabilité.
    Disparue. Reléguée dans un angle mort.

    Derrière un reflet mouvant, j'aperçus enfin la bête, la jeune fille animale, changeante, si pâle et trop maquillée. Vénéneuse fleur aux sombres pétales qui croyait cacher son cœur dans une prison de rêves maudits, de jouissances vaines et d'apparences trompeuses.
    La poupée, je la revoyais alors avec colère et désespoir... poupée cassée, maintenue, saccagée, bâillonnée, livrée aux assauts du sourd monstre qui hante encore les cauchemars de ses quinze ans.

    Encore floue, à travers le vaporeux fluide de larmes naissantes, j'entrevis la future mère modèle. Cristallisée dans un monde où tout désir d'écart est coupable. Transformation.
    Ma volonté s'est heurtée au métal froid des convenances.
    Toujours une poupée... mais corps exsangue et cœur en carence, une chose glacée et futile, instrument mécanique enserrant mes chairs et mon âme.

    Que suis-je devenue ?
    En ce tête-à-tête ténébreux et limpide avec mon reflet, je voudrais revenir vers Moi.
    Purifiant tout ce que je suis aujourd'hui. Purifiant la plaie qui m'empêche d'aimer...

    La Trahison !

    Pourrais-je avoir encore la Beauté de la Bête ?
    Pourrais-je émouvoir sans briser malgré moi un être éperdu dans mon décor intime ?
    Pourrais-je encore supporter ce doigt sur ma bouche qui intime le silence à des cris sans voix ?
    Diaprée de lumière lunaire, je crûs soudain vieillir de cent ans, et c'est en me raccrochant à ces yeux familiers sans visage que je ne sombrais pas dans le vertige éternel, celui de la Peur ancestrale de notre finitude. Je n'étais que le jouet du temps et du mensonge.

    Fermant, puis rouvrant mes paupières fatiguées, je détachais mon regard de lui-même et le laissait reconstruire le monde autour de nous. Tout était à sa place. Mais quelque chose avait changé pourtant : je connaissais la Vérité...

    Je me contemplais à nouveau, moi, seules, dans ce miroir.

    Ligeia


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  • "Il est dangereux de se laisser aller à la volupté des larmes ; elle ôte le courage et même la volonté de guérir."

    (Henri-Frédéric Amiel)<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />

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  • "Dans les sociétés où l'homme adore ces mystères, la femme est, à cause de ses vertus, associée au culte et vénérée comme prêtresse ; mais quand il lutte pour faire triompher la société sur la nature, la raison sur la vie, la volonté sur le donné inerte, la femme est regardée comme sorcière." ("Le deuxième Sexe". Folio. p. 273)

    Cette phrase de Simone de Beauvoir (dont on parle beaucoup à l'occasion du centième anniversaire de sa naissance) pourrait être le principe implicite que nos sociétés ont de tout temps soufflé aux oreilles des hommes qui
    les dirigeaient. C'est le regard masculin qui a forgé l'image de la femme : N'est pas Déesse ou Sorcière qui veut !
    Avant même d'évoquer ce qui caractérise le personnage féminin en art ou littérature, il faut nécessairement considérer son statut social : même vénérée, même protégée, elle est et a toujours été l'« Autre », un être inférieur. Pourquoi ?
    Parce qu'en Occident et presque partout, même aujourd'hui, les sociétés sont patriarcales. Fonder une société exige le conflit, la force et de par sa nature, la seule chose qu'une femme est censée fonder est une famille.
    On redoute qui l'on domine, on l'ignore aussi.
    A tous ces titres, il est bien plus commode de ranger l'Autre, de se le représenter avec des attributs définis qui en abolissent le mystère, qui le fixent à jamais dans l'infériorité.
    L'intuition, les défenses, les non-dits, la mascarade des apparences, autant d'attitudes que l'on a pu attribuer à la femme, sous-tendent en fait un danger plus insidieux, plus menaçant.
    Ils sont les expressions de son mystère.
    En effet, pendant des siècles, toute fille d'Eve était un « piège de Satan[1] » et cette malédiction vient du plus profond des âges.
    Avec la Création naît la séduction, la tentation, le désir de connaissance de l'Autre, le désir tout court. Et avec la séduction naît l'artifice qu'elle revêt pour s'exercer sur l'esprit et le corps de l'homme.
    Qui pouvait mieux que la femme incarner dans nos cosmogonies l'idée d'un Mal tentateur ?
    L'attirance n'est pas dévotion et elle peut tout naturellement être associée à la présence de Satan dont Todorov dit qu'il pourrait être simplement nommé le
    Désir.
    Pourquoi et comment la féminité a été et demeure encore aujourd'hui sourdement, profondément ressentie par l'homme comme Mal ? Un Mal nécessaire, fascinant, désirable ... (et la liste n'est pas exhaustive) certes, mais un mal tout de même qui prend sa source dans ce que l'Homme a de plus profond et de plus obscur en lui-même et que l'on pourrait appeler l'inconscient collectif. Inconscient qui fonde ses représentations dans le mythe. Ce Mal, la femme n'est pas accusée de le commettre, mais de l'incarner. Incarner, c'est donner chair. Le Mal consiste à revêtir de chair, à figer ce qui est de l'ordre du désir et de la parole. Si elle l'incarne, c'est dans son corps ; et c'est précisément ce corps, comme objet de désir et de répulsion qui sera exploité, décrit, fragmenté, appréhendé, craint, rêvé par de grands auteurs.
    A propos de la sexualité féminine, Freud employait la désormais célèbre formule de « continent noir. » Théoricien du psychisme, de l'inconscient mais également du Fantastique, il nous apporte une définition de ce sentiment que l'on projettera sur le genre lui-même, celle de l'« Unheimliche », ou l'inquiétante étrangeté
    [2].
    Elle est celle d'une étrangeté (sexuelle) de la femme décrite en terme de race comme l'absolument Autre.
    Cette étrangeté, cette mise à distance est aussi proximité violente d'un « double » de soi-même : autre côté, autre race, métaphore du dehors, de l'en-deça, de l'inessentiel ou du différent au plus profond de soi. Cette image, qui définit la femme comme définitivement Autre dans l'inconscient du sujet, la rend objet ; la réifie et donc l'éloigne, la soumet. Mais c'est aussi celle de cette terre sombre, « noire » au second sens du terme. Une terre de ténèbres, un lointain ailleurs, cet Autre inconnu qui a de tout temps à la fois terrifié et fasciné l'homme.
    Les mythes forgés par ce dernier sur la femme à travers les religions, les coutumes et les littératures prennent leurs racines dans cet inconscient qui assimile de façon séculaire l'Etranger(e) à l'Etrange et par là-même au Mal.

    Le regard de cette grande dame que fut Simone de Beauvoir sur la condition féminine est assimilé à un "raz-de-marée" pour certains dont je fais partie, à "un coup d'épée dans l'eau" pour d'autre. Toutefois, un pas fut franchi avec "Le deuxième Sexe" en 1949, les mentalités ont évolué certes mais il reste
    encore du chemin à parcourir dans la compréhension et l'acceptation de l'égalité comme des différences.

    Ligeia

    [1]
      Article « la sexualité féminine » .Encyclopédie Universalis – CD-Rom 1998.
    [2]  Freud, S. L'inquiètante étrangeté. Gallimard. Collection « Connaissance de l'inconscient ». 1985.


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  • Angel-isthme... (duo)

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    En amour chaque aile d'amance est charnelle,
    Chaque ange est une terre, un océan, un univers,
    A caresser, parcourir, investir telle une citadelle
    Chaque plume frôle, frissonne la peau à l'envers
    Un voyage aux confins de l'intime,
    De l'immensité à la pulsation infime...  (Ligeia)


    Emerveillement d'un tel voyage imaginaire,
    Dépassement de son être, l'ange prend son envol,
    Pour éparpiller infiniment sa joie tel un lampadaire
    Illuminé dans une ruelle sombre servant d'antivol
    En protégeant les passants qui s'arrêtent un instant
    Pour s'enlacer, s'embrasser inlassablement... (élo)

    Sortir de l'ombre, sortir du nombre des ombres
    Indifférentes aux gangues de nuit qui les séparent
    Se rejoindre en ce moment où le temps s'effondre
    L'abîme franchi, la pulpe des doigts enfin s'empare
    Des fragments de chair, l'élan de deux âmes amarrées
    L'isthme divin les foudroie sous la lumière d'or poudré (Ligeia)

    <o:p></o:p>

    Chute de cette extase, abysses, cœurs en bataille
    Les amants désarmés cèdent à leur témérité
    Sensations de papillons, instant exquis, infernal
    Tel un paradis de délices non consumés
    Envol et plénitude, voilà leurs destinées
    Dans cet ailleurs où tout est léger... (élo)



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