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Circé
<?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p>Mon Ulysse envoûté de mille et un mirages,
La figure de Circé est un avatar beaucoup plus menaçant des monstrueuses Sirènes.
Pris par les flots immenses, oublieux de l'amour,
Butine son plaisir de virage en visages
A mon nom reste sourd...</o:p>
Engendrée par les mêmes éléments, elle revêtait néanmoins l'apparence mystérieuse d'une très belle femme.
Comme Artémis, sa légende en fait une divinité des marges de la Cité (elle est exilée seule sur une île) et, par son intimité avec la Terre sauvage, celle des marges de l'humain.
Son pouvoir est de perdre l'homme en établissant un pont entre lui et l'Autre, entre la frontière qui sépare l'homme de l'animal.
La mort qu'elle inflige est en fait celle de l'esprit, de l'âme humaine.
Ainsi, les animaux qui vivaient près d'elle n'étaient autre que d'imprudents voyageurs qu'elle avait transformés ; ce qu'elle fit aux compagnons d'Ulysse, métamorphosées en pourceaux. Ulysse, séduit, plongea de longs mois dans l'oubli de l'amour que le mythe assimile ici à l'oubli de l'humanité propre de l'être.
Parvenant finalement à déjouer ses ruses, Ulysse « s'éveilla » et réussit à la convaincre de lui rendre ses amis et de les laisser repartir avec lui.
Dans cet épisode subtil de dévoration psychique, le charme sous lequel se déguise la mort est le vrai visage d'Eros / le Désir ; celui d'une femme réelle.
Mais il est excessif car son esthétique est d'essence divine.
Se révolter contre la magicienne et la tuer est impossible pour Ulysse qui subit une exquise torture.
Le paradoxe ne s'arrête pas là. Il va laisser Circé à la solitude de sa malédiction car elle-même est victime de sa surnature, condamnation lancée contre elle par Aphrodite.
Concernant Ulysse, son destin n'est pas de mourir dans l'oubli pour renaître dans l'existence occulte de Circé ; il est promis au retour à Ithaque.
Le destin de Circé, lui, est circulaire et hautement symbolique : elle est vouée à l'échec répété dans sa recherche de l'Amour sublime.
Sa relation excessive avec Ulysse tendait vers l'Eros, l'ascension conjointe de l'esprit et des corps. Mais Circé est aussi femme et elle ramène Ulysse vers Thanatos en lui donnant finalement à voir un mime des Enfers.
La conscience du héros se réveille : les enchantements séduisants de Circé côtoient le dégoût de l'inanité (inanité physique sur Ea et spirituelle dans l'amour exclusif.)
Avec elle, le cercle de l'amour est sans fin et représente l'immobilité, le vide, l'inexprimable sentiment de la mort.
La féminité apparaît bien ici comme vecteur d'une pétrification. Par elle, l'homme s'oublie au monde, à lui-même pour n'être plus que désir et chaos, dans une inertie dont l'image est proche de celle du cadavre.
<o:p> </o:p>« L'homme captif de ses charmes n'a plus de volonté, plus de projet, d'avenir ; il n'est plus citoyen, mais une chair esclave de ses désirs, il est rayé de la communauté, enfermé dans l'instant, ballotté passivement de la torture au plaisir ; la magicienne perverse dresse la passion contre le devoir, le moment présent contre l'unité du temps, elle retient le voyageur loin de ses foyers, elle verse l'oubli. »[1]
Pris dans l'ivresse du plaisir momentané l'homme peut nier, comme le fait Ulysse, le caractère proprement éphémère de son existence. Possédé par l'apparence d'Eros, il peut refaire en sens inverse l'itinéraire de sa Chute, aller du multiple au simple, à l'âme.
Pour les Grecs, le péché de Tentation n'existe pas ; du moins, il n'est pas relatif à la femme qui exerce son pouvoir ambigu.
Il est dans l'homme dont l'orgueil (l'Hubris) le conduit à l'oubli de sa condition, à se dépasser pour atteindre les dieux. La femme n'est que l'objet de cette tentation et par elle, les dieux punissent les héros d'avoir voulu leur ressembler.
En revanche, dans nos civilisations contemporaines, la recherche du plaisir et du dépassement est éminemment créatrice de valeurs ; mais elle demeure ambiguë.
Si elle est obsession, l'homme apparaît comme la victime d'un désir dont le Mal est l'artisan sous le couvert de l'apparence féminine.
Ainsi, Eros reconnu principe d'action, de vie et de connaissance, d'accession à l'intelligibilité, incarne aussi la subversion. Son excès, visible notamment dans l'idéalisation esthétique, produit l'inquiétude car il fonctionne aussi sur l'illusion. Cette illusion s'exerce quand Eros, Désir ascensionnel est forcé de devenir un Eros, Désir matériel, physique ; quand pour se sentir transcendé par l'amour, l'homme est contraint de poser son regard sur l'objet aimé.
Cette dialectique du regard / illusion est complexe et a été longuement traitée dans l'Erotique platonicienne. Le regard échangé de l'amant (Ulysse) vers l'objet aimé (Circé) et réciproquement, est un cercle infini, vertige pour la raison et pour les sens.
Ligeia
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"La femme est la porte par laquelle on peut pénétrer dans le domaine de la mort comme dans celui de la vie éternelle.
Eve est l'arène où la vie et la mort se livrent un combat sans merci."
(Maria de Naglowska)
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Mon petit fantôme" On eût dit que sur terre elle n'avait plus d'âme,
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Qu'elle ignorait nos voix, qu'elle était de la nuit
Ayant la forme humaine et marchant dans ce bruit ;
Et rien n'était plus noir que ce petit fantôme." (Victor Hugo)Il y a certains soirs sans secret
A la césure infime de l'être
Où la chair peut toujours saigner
Sourde un infirme petit spectre
Il y a des soirs où elle revient
La petite fille aux yeux lourds
Cernés de tant de veilles en vain
Se réfugiant en coton sourd
Aux plaintes de sa mère psalmodiées
Pelotonnée au froid rebord
De sa fenêtre à la croisée
Le cœur serré de tant d'effort
Entre les trop fins rideaux blancs
Elle a peur du loup au dehors
Elle cherche un son dans le vent
Les pas qui le ramènent à elle
Mais seul le silence s'éternise
Sa plainte l'écrase et l'ensorcelle
Quelque part, l'amour agonisePetite poupée livide tu guettes
Comme autrefois les pâles lueurs
Des phares ou les yeux jaunes des bêtes
Remontant l'allée des douleurs
Tant de départs et de larmes tues
Tant de retours au matin blême
Tant de cris étouffés, non sus
Temps patient écoulé sans même
Ces mots qui auraient fait lumière
La parole, bonté apaisante
Tu la trouvais sur la face claire
De ton amie la lune aimante
Car elle seule pouvait t'écouter
Dodelinant tel un chaton
Aux larges prunelles inquiétées
J'ai oublié de quelle façon
Tu t'adressais à l'astre béni
Je ne me souviens pas des mots
Qui chassaient sans peine la nuit
Juste de cette échappée belle
Envolée d'or en voie des songes
Des yeux immenses veillant sur celle
Que des silences cruels rongentIl y a des nuits d'échappée laide
Où le ciel se vide d'illusions
Le sourire imaginaire cède
La place à ce gouffre sans fond
L'enfant en moi enfin s'endort
Quand une lasse poupée de chiffons
S'exhume des limbes et pleure et mord
Seule, seule face au vide si profond
Ô Ciel ! Qu'enfin s'effondre la nuit !
Que des pas familiers résonnent
Rien n'est infranchissable et oublie
Ces lacunaires secondes qui sonnent
Tombent, gisent et meurent dans ce spectacle
Ombre glacée des années sans joie
Tu hais l'absence comme un obstacle
Tu es fantôme, enfant sans voix.
Ligeia
dédicacé aux pères absents...
Ce poème vient d'être lauréat au concours d'octobre consacré au thème de l'absence sur le site de créations littéraires et artistiques Poétiquement vôtre. J'en profite pour remercier tous ceux qui me lisent et encouragent ainsi ma plume.
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Sébastien Bermes
Il serait né 1969 à Nancy (c'est son site qui nous propose ce conditionnel.) De formation scientifique, il a néanmoins poursuivi une formation artistique autodidacte, s'essayant successivement à la bande dessinée, à la peinture et à l'illustration. Il vivrait aujourd'hui à Toulouse.Les premières découvertes graphiques surviennent à l'adolescence, de vieux numéros de Métal Hurlant (Druillet, Corben, H.R.Giger, Schuitten...) Plus tard, il découvre les univers torturés de Andreas, Wrightson, Bilal, Miller... En parallèle, il adore les œuvres de Lovecraft, Jean Ray, ou Machen, qui vont marquer son imaginaire. Il fut aussi profondément influencé par les symbolistes, tels que Félicien Rops (illustrateur de Baudelaire et Barbey d'Aurevilly), Gustave Doré (pour sa version de la Divine Comédie par exemple), Klimt, Von Stuck ou Boecklin, ainsi que par les Anciens comme Jérôme Bosh, Vermeer ou Rembrandt. Parmi les artistes plus récemment découverts, il voue une admiration particulière à Guillaume Sorel, à Ledroit, et à Beksinski.
Depuis l'enfance, il a publié ses œuvres dans des revues amateurs et a notamment illustré le fantastique prozine Requiem. Il a travaillé avec les éditions de l'Oxymore sur six ouvrages dont "Vampires, portraits d'une Ombre", "Ainsi soit l'Ange" et "Lilith et ses sœurs" qui sont tout simplement somptueux.
Son univers se nourrit de toutes ses rencontres, visuelles ou auditives (il choisit de la musique pour travailler) et évidemment artistiques... il a beaucoup visité les thèmes du vampirisme et des corps, notamment féminins. Pour ses techniques, il est un touche-à-tout : il a longtemps utilisé l'aérographe et les encres acryliques puis des approches mixtes (l'huile, la sculpture, la retouche numérique) qui se font oublier pour un résultat final d'une grande richesse.
Evidemment, son « Déambulatoire » fourmille de tout ce qui n'est pas en ce modeste article et je vous invite à le découvrir en cliquant ICI.
Ligeia
PS : Merci pour le lien de "Fleurs Sélènes" sur ton site, cher ami...
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