• extrait de "The Raven"

    "Le Corbeau"


    «Prophète! - dis-je, - être de malheur! oiseau ou démon! toujours prophète! par ce ciel tendu sur nos têtes, par ce Dieu que tous deux nous adorons, dis à cette âme chargée de douleur si, dans le Paradis lointain, elle pourra embrasser une fille sainte que les anges nomment Lénore, embrasser une précieuse et rayonnante fille que les anges nomment Lénore.» Le corbeau dit : «Jamais plus!»

    «Que cette parole soit le signal de notre séparation, oiseau ou démon! - hurlai-je en me redressant. - Rentre dans la tempête, retourne au rivage de la nuit plutonienne; ne laisse pas ici une seule plume noire comme souvenir du mensonge que ton âme a proféré; laisse ma solitude inviolée; quitte ce buste au-dessus de ma porte; arrache ton bec de mon cœur et précipite ton spectre loin de ma porte!» Le corbeau dit : «Jamais plus!»

    Et le corbeau, immuable, est toujours installé sur le buste pâle de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre; et ses yeux ont toute la semblance des yeux d'un démon qui rêve; et la lumière de la lampe, en ruisselant sur lui, projette son ombre sur le plancher; et mon âme, hors du cercle de cette ombre qui gît flottante sur le plancher, ne pourra plus s'élever, - jamais plus!

    Edgar Allan Poe (1843)

    Traduit par Charles Baudelaire


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    Ma belle Ondine

    À ta source cristalline
    J'ai plongé tant de regards,
    Oh Divine ! Beauté limpide
    Miroir de maints espoirs.
    J'aimerais, exquise ondine
    Noyer par toi, ce cœur avare
    Y tremper toutes mes épines
    Par toi connaître, l'ultime extase.

    Je ne suis que frêle aubépine
    Juchée par le hasard
    Sur les bords d'une ravine
    Attirée par ton nectar,
    J'ai soif de toutes mes racines
    Prisonnier dans ce terroir,
    La vie cruelle, ne me destine
    Qu'au rare lait, des nuages noirs.

    Ton eau, me serait divine
    Elle est telle, une mine d'or
    Pour survivre comme mes frangines
    J'ai besoin de tes trésors.
    Je me sens triste orpheline
    Isolée sur ce rebord,
    Une inflexible figurine
    Qui espère tes raccords.


    Jean-Maurice Chaput


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    Les Métamorphoses du Vampire

    La femme cependant, de sa bouche de fraise,
    En se tordant ainsi qu'un serpent sur la braise,
    Et pétrissant ses seins sur le fer de son busc,
    Laissait couler ces mots tout imprégnés de musc :
    " Moi, j'ai la lèvre humide, et je sais la science
    De perdre au fond d'un lit l'antique conscience.
    Je sèche tous les pleurs sur mes seins triomphants,
    Et fais rire les vieux du rire des enfants.
    Je remplace, pour qui me voit nue et sans voiles,
    La lune, le soleil, le ciel et les étoiles !
    Je suis, mon cher savant, si docte aux Voluptés,
    Lorsque j'étouffe un homme en mes bras redoutés,
    Ou lorsque j'abandonne aux morsures mon buste,
    Timide et libertine, et fragile et robuste,
    Que sur ces matelas qui se pâment d'émoi,
    Les anges impuissants se damneraient pour moi ! "

    Quand elle eut de mes os sucé toute la moelle,
    Et que languissamment je me tournai vers elle
    Pour lui rendre un baiser d'amour, je ne vis plus
    Qu'une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus !
    Je fermai les deux yeux, dans ma froide épouvante,
    Et quand je les rouvris à la clarté vivante,
    A mes côtés, au lieu du mannequin puissant
    Qui semblait avoir fait provision de sang,
    Tremblaient confusément des débris de squelette,
    Qui d'eux-mêmes rendaient le cri d'une girouette
    Ou d'une enseigne, au bout d'une tringle de fer,
    Que balance le vent pendant les nuits d'hiver.

    Charles Baudelaire (Epaves. 1866)

     Charles Baudelaire photographié par Nadar

    Eléments de bibliographie :

    Grand poète du XIXème siècle, traducteur génial d'Edgar Poe, Charles Baudelaire est connu pour sa vie de bohème, de rebelle désabusé et d'auteur torturé. Il publia de son vivant une seule œuvre majeure, les Fleurs du Mal. Ce fantastique recueil de poèmes fut condamné et censuré à sa sortie en 1857 (la même année que Madame Bovary de Flaubert), « pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Son œuvre ne sera judiciairement réhabilitée qu'en 1949. Baudelaire y met en lumière une peinture de la modernité, la dualité entre la volupté et la violence, le bien et le mal, la beauté et la laideur, le ciel et l'enfer. Il s'éteint à l'âge de quarante-six ans, des suites de la syphilis, de l'abus d'alcool et autres drogues. En 1868 sont publiés à titre posthume le Spleen de Paris et les Curiosités esthétiques. Non reconnu de son vivant, Baudelaire fut : "le vrai Dieu" selon Rimbaud, "le premier surréaliste" pour Breton ou encore "le plus important des poètes" pour Valéry.

    Ligeia

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  • Le violon (Anne Rice. 1997)

    du meilleur et du pire...

    "Le Violon" est un concentré du meilleur et du pire de l'auteure. D'une part, elle joue avec virtuosité sur la magie, la poésie des lieux, des descriptions fortement évocatrices comme elle seule en a le secret. Elle s'est bien documentée et le champ lexical de la musique est utilisé avec précision et sensibilité. Après une première partie prometteuse (chagrin et souvenirs enfiévrés de l'héroïne, apparitions d'un fantôme romantique, veillée funèbre fantastique...) la trame de l'histoire dévie vers des longueurs inattendues, des redondances inutiles de flash-back nauséeux, vers une relation avec un fantôme bien réel puisque perçu par tous et qui n'a donc plus aucun mystère. Le grand frisson est mis à mort. Il reste juste une histoire triste sans unité réelle, contée certes avec talent, mais qui aurait peut-être gagné à ne rester que nouvelle ou même poème en prose. La fin elle-même semble expédiée à grande vitesse. Je n'en dévoilerais pas les ressorts mais soit dit en passant, je l'ai lu jusqu'à la fin pour la beauté des images et des sons évoqués. Uniquement.

    Ligeia

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    Bibliographie de l'auteure :

    Les Chroniques des Vampires :
    Entretien avec un Vampire (Interview with the Vampire, 1976)
    Lestat le Vampire Lestat(1985)
    La Reine des Damnés (The Queen of the Damned, 1988)
    Le Voleur de Corps (The Tale of the Body Thief , 1992)
    Memnoch le Démon (Memnoch the Devil, 1995)
    Armand le vampire (Armand, the vampire, 1998)
    Merrick (Merrick, 2000)
    Nouveaux contes :
     Pandora (Pandora, 1998)
    Vittorio le vampire (Vittorio, the vampire, 1999)

    La Saga des Sorcières :
    L'Heure des Sorcières (The Witching Hour, 1990)
    Le Lien Maléfique- (Lasher, 1993)
    Taltos (Taltos 1994)

    La Série des Fantômes :
    Le Violon (Violin 1997)
    Le Sortilège de Babylone (Servant of the Bones)

    Les Momies :
    La Momie (The Mummy or Ramses the Damned, 1989)

    Les contes érotiques :
    Les infortunes de la Belle au bois dormant (The claiming of Sleeping Beauty, 1983-84, traduits en 1998) en 3 tomes : L'initiation, La punition, La libération.

     


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  • La mante au fil des jours, (Roman de Christine Renard, 1977)
    une autre vision de la légende d'Erzsébet Bathory, dite
    « La Comtesse Sanglante »


    Un poète dit à Kali (déesse-Mère indienne) dans une vieille légende : « Ta forme est belle comme les nuages pluvieux mais tes pieds sont souillés du sang de tes fils. »[1]

    Cela signifie que la femme qui condamne l'homme à la finitude lui permet aussi la réalisation du désir charnel, la continuité d'une vie qu'il lui transmet.
    Ce phénomène symbolique est parfois utilisé dans la littérature par le biais de personnages féminins monstrueux ou simplement marqué par les stigmates anticipés de la mort comme une étrange vieillesse, une décrépitude, parfois des caractères maléfiques comme dans la Mante au fil des Jours.[2]
    Ces images conduisent tout droit aux fantasmes de dévoration psychopompe où la femme (vampire ou mante religieuse) absorbe l'énergie vitale, l'âme ou le sang de l'homme pour enfanter un nouvel être ou régénérer sa propre vie.
    Une grande part de peur réside dans l'élaboration de ces images, car la femme à laquelle l'homme se sent lié par nature est Autre et qu'il constitue la norme. L'excès même de ces connotations nécrophiles se réalisant pleinement dans la fiction montre qu'il cherche à l'éloigner encore davantage de lui-même, à l'assimiler totalement au Mal pour mieux s'assimiler lui-même au Bien.

    Ce retour au chaos est ainsi préfiguré dans La Mante au fil des Jours de Christine Renard ou l'on retrouve la figure romancée de la Comtesse Bathory dans le personnage-phénomène d'Elizabeth.[3] 

    Elle n'est pas un personnage féminin ouvertement monstrueux comme le suggère maladroitement le dessin de  couverture. Nous sommes bien dans l'univers fantastique où tout est suggéré et le doute règne en maître.

    Cette étrange jeune fille apparaît comme le double alternant d'une très vieille femme, la comtesse Somogyi qui se dit sa grand-mère.
    En fait, le récit s'organise autour de l'incertitude de Jacques, le personnage principal, qui ne les voit jamais ensemble et qui à plusieurs reprises sera victimes de cauchemars ou de rêves éveillés.
    Ici, le processus de transformation naturelle est inversé : Elizabeth a vraisemblablement besoin d'absorber du sang frais pour pouvoir conserver l'apparence de la jeunesse et son aristocratique beauté malgré ses deux cent cinquante deux ans présumés.
    Outre son vieillissement et son rajeunissement accélérés, Elizabeth est soupçonnée de métamorphoses tératologiques. Signes d'une monstruosité latente, la présence d'une pilosité excessive sur ses bras et ses jambes (que Jacques caresse furtivement dans l'obscurité) viennent témoigner d'une possible animalisation.
    De plus, le récit s'ouvre sur une vision surréaliste, celle du père du jeune homme qui « rêve » tous les soirs qu'une énorme mante religieuse surgit du dessous de son lit.
    Il finit par mourir de faiblesse et certains esprits pragmatiques diront à son psychanalyste que sa femme l'a empoisonné, d'autres, plus imaginatifs, lui affirmeront qu'il a été dévoré par une mante religieuse.
    Dans ce conte, toutes les métamorphoses sont suggérées et traitées dans un cadre fantastique : naturelle, accélérée, inversée dans le règne de l'humain ; surnaturelle dans le règne animal.
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    Mort et sexualité sont les deux bornes entre lesquelles évolue la créature féminine toujours changeante : brutale et douce, belle et monstrueuse...

    Ligeia



    [1] Willis, R. Mythologies du monde entier. (p.71)

    [2] Renard, C. La Mante au fil des jours. 1977.  Fleuve Noir. 1998.

    [3] Renard, C. La Mante au fil des Jours, (1977) op. cit.



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